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ORANGES SANGUINES
Rencontre avec la révélation Lilith Grasmug
Repérée dans Technopole – Sofia Antipolis de Virgil Vernier (2017), la comédienne repérée de 21 ans incarne une jeune femme aussi discrète que frondeuse dans le nouveau film de Jean-Christophe Meurisse. Entourée de la troupe des Chiens de Navarre, Lilith Grasmug assoie une palette de jeu sidérante qui donne à ces Oranges sanguines tout leur jus. Rencontre.
Rencontre avec la révélation Lilith Grasmug
Dans Oranges sanguines de Jean-Christophe Meurisse, au même moment, dans différents endroits de France, un couple de retraités surendettés tente de remporter un concours de rock, un ministre est soupçonné de fraude fiscale et une jeune adolescente rencontre un détraqué sexuel. Cette dernière est campée par Lilith Grasmug qui revient pour nous sur ce rôle aux facettes inattendues.
D’où est né votre désir de cinéma ?
Lilith Grasmug : C’est apparu au début du lycée. Je n’aimais pas du tout l’école même si j’y avais de très bonnes notes. Mes parents sont autrichien et néerlandais et j’ai été éduquée d’une manière très douce, avec beaucoup de bienveillance et de dialogue. En France, il y a quelque chose de très latin, d’autoritaire chez les professeurs, ce qui a fait naître en moi un stress important. Je crois que j’étais un peu en recherche d’un autre environnement, de gens d’un autre milieu, et j’étais très attirée par le cinéma, même si mes parents n’étaient pas du tout cinéphiles.
Quel a été l’élément déclencheur qui vous a porté vers le jeu ?
J’avais vu qu’il y avait un casting pour Happy End de Michel Haneke un dimanche. Avec ma sœur, nous regardions ses films plus jeunes ; ils nous faisaient rire, nous ne comprenions pas alors à quel point ils étaient graves. La directrice de casting m’a dit que j’étais trop vieille pour le rôle tout en m’encourageant à passer d’autres essais, ce qui m’a permis de rencontrer mon agent actuel. J’ai toutefois continué à faire des études – en l’occurence une classe de préparation à la Fémis et un cursus d’histoire de l’art actuellement – et n’ai jamais donné la priorité au cinéma. J’essaie de danser entre les deux car je ne me vois pas être entièrement dévouée au jeu ; c’est un investissement trop total… Jouer un personnage, c’est donner de soi, de son image, et il me faut une activité de repli.
Et qu’est-ce qui, à l’inverse, vous nourrit dans vos activités de comédienne ?
Comme je suis très émotive, que je pleure très facilement, c’est un peu l’ascenseur émotionnel toute la journée. Le jeu est un endroit où il est autorisé d’être émue, de cultiver cette forme d’hypersensibilité. Ça me permet de laisser de côté cette gêne que j’ai souvent d’être trop touchée par les choses. C’est aussi un endroit où apprendre le lâcher-prise, la confiance envers une équipe, un ou une réalisateur/rice… C’est ce qui me porte.
Comment avez-vous obtenu ce le rôle de Louise dans Oranges sanguines ?
Ça s’est fait presque anormalement rapidement. Je suis revenue d’un tournage en Suisse, j’ai passé les essais et le soir-même, on me disait que j’étais sélectionnée pour le rôle. Plusieurs comédiennes avaient été engagées précédemment mais s’étaient ensuite désistées. Je trouvais le scénario ambitieux, généreux au niveau de ce qu’il proposait quant au travail de tournage. Nous avions un document, certes, avec des séquences qui nous donnaient un cadre mais pas de dialogues. Pour moi qui ne suis ni spontanée ni drôle, c’était un peu effrayant. Et puis j’ai découvert une liberté folle de création car de cette absence de texte sont nées des séquences auxquelles nous n’avions pas forcément pensé ; nous sommes allés à des endroits assez inédits. Tout était permis et en même temps nous répétions un peu, ce qui permettait de recadrer, de resserrer chaque fois le champ des possibilités.
Comment s’est déroulé le travail de préparation du personnage avec le réalisateur ?
Nous n’avons trop parlé psychologie parce que Louise se trouve dans des situations qui entraînent des réactions souvent difficiles à rationnaliser. Je me suis reconnue dans ce personnage-là, plus peut-être que dans d’autres qui n’ont une seule intention. Louise n’est ni binaire ni manichéenne ; il y avait de la place pour l’inconscient, pour l’irrationnel, pour des contradictions aussi. Il y a des parties de moi-même que je ne parviens pas forcément à réconcilier et ce personnage m’a fait me dire qu’il était tout à fait acceptable de ne pas être hyper cohérent dans notre manière d’être.

Photo Alexandre Steiger, Lilith Grasmug – Oranges sanguines | Copyright The Jokers Films
Vous participez à une scène de violence insoutenable dans le film. L’avez-vous « chorégraphiée » pour mieux l’appréhender ?
Même si l’acte est hors-champ, nous tournions toujours autour. À jouer, c’est ce qu’il y a de plus douloureux car c’est le moment qui fait le plus peur. J’ai l’impression que la peur, ou en tout cas l’angoisse, s’arrête au moment où quelque chose de grave advient parce qu’alors ce n’est plus de la peur mais de la souffrance. Fred Blin, l’acteur qui me donne la réplique, est quelqu’un d’extrêmement bienveillant et ça s’est très bien passé. Nous avions aussi un petit rituel où Jean-Christophe Meurisse me disait de « charger », c’est-à-dire me remplir de larmes pour être prête à exploser. La tristesse que j’ai ressenti à ce moment-là avait une teneur très primitive. Il y a vraiment eu des moments où je retrouvais une terreur de nourrisson qui demande sa mère, ce sentiment que le monde s’écroule. Je n’avais jamais revécu cet effroi très ancré, très profond.
C’est un travail qui est relativement particulier parce qu’avec Jean-Christophe, les acteurs sont prioritaires sur tout le reste. Il nous observe et nous sollicite lorsqu’il nous juge prêt. Alors il faut y aller car on ne peut être certain que deux minutes plus tard on pourra retrouver exactement le même état. Il est très difficile pour un acteur de s’entendre dire « Refais ça » ; on peut essayer de retendre vers la même direction, mais le sentiment est tellement fugitif. Or, Jean-Christophe est vraiment attentif à ce point, à savoir le jeu et la justesse de ce que peut donner un instant un peu contingent de mise en scène. Ça a été un tournage luxueux en ce sens.
Le fait d’évoluer aux côtés de la troupe des Chiens de Navarre et au sein de leur univers très particulier vous a-t-il donné des envies de théâtre ?
Je n’ai jamais pris de cours de théâtre parce que le regard des autres me fait très peur. Sur un tournage, il y a beaucoup de monde mais chacun est complètement plongé dans son corps de métier. Lorsque la maquilleuse me regarde, c’est son travail qu’elle jauge. Au théâtre, c’est tout le contraire : on se trouve face à un public venu pour nous regarder. Il n’y a pas de deuxième chance ; on ne peut pas dire « Écoutez, je n’étais pas dedans, on va refaire la prise ». Faire du théâtre me demanderait beaucoup de courage, il me faudrait sortir totalement de ma zone de confort.
Pendant mon hypokhâgne, j’ai joué la fille d’Emmanuelle Bercot pour les répétitions de la pièce Face à face de Léonard Maton. Je crois que c’est ce que je préfère : préparer le tournage, ou la pièce, parce que c’est un moment d’effervescence et d’exploration. Même si toutes les propositions ne sont pas retenues, on explore des endroits auxquels on n’avait pas forcément pensé auparavant et on teste nos limites.
Vous serez bientôt à l’affiche du prochain film de Mikaël Hers (Ce sentiment de l’été, Amanda…)
J’y tiens vraiment un petit personnage : la petite-amie du fils du personnage que Charlotte Gainsbourg interprète. J’ai eu une chance immense parce que j’aime beaucoup le cinéma de Mikaël Hers et qu’il est très rare de tomber sur un très beau scénario. J’ignore si cela a quelque chose à voir avec le fait que je sois une jeune femme ; peut-être que ces rôles sont compliqués à écrire car il s’agit d’une tranche d’âge délicate, entre adolescence et début de la vie d’adulte, soit un passage pas forcément évident. Mikaël Hers est quelqu’un de très exigeant et d’assez dur dans ce qu’il demande mais il est aussi extrêmement bienveillant. J’aimerais beaucoup retravailler avec lui.

Photo Alexandre Steiger, Denis Podalydès, Christophe Paou – Oranges sanguines – Copyright Rectangle Productions – Mamma Roman
Photo de couverture : Lilith Grasmug – Oranges sanguines | Copyright Laura Pertuy
En salles le 17 novembre 2021