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Les Nuits de Mashhad
Rencontre avec l’actrice Zar Amir Ebrahimi
Le Festival de Cannes a tremblé en mai dernier face à ce thriller sombre, tiré d’un authentique fait divers iranien. Signant là une œuvre choc et infiniment politique, Ali Abbasi (Border) a aussi révélé une actrice en la personne de Zar Amir Ebrahimi, auréolée du Prix d’interprétation féminine. Exilée en France après un scandale qui lui a valu l’opprobre du gouvernement, elle s’est confiée sur ce film sans compromis.
Le Festival de Cannes a tremblé en mai dernier face à ce thriller sombre, tiré d’un authentique fait divers iranien. Signant là une œuvre choc et infiniment politique, Ali Abbasi (Border) a aussi révélé une actrice en la personne de Zar Amir Ebrahimi, auréolée du Prix d’interprétation féminine. Exilée en France après un scandale qui lui a valu l’opprobre du gouvernement, elle s’est confiée sur ce film sans compromis.
Les Nuits de Mashhad - Rencontre avec l'actrice Zar Amir Ebrahimi
Iran, 2001. Une journaliste originaire de Téhéran (Zar Amir Ebrahimi) enquête sur une série de féminicides survenus dans la ville sainte de Mashhad. Elle découvre très vite que les autorités locales n’ont pas vraiment à cœur de résoudre cette affaire. Ces crimes sont pourtant revendiqués par un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés en s’attaquant la nuit aux prostituées…
COMMENT ÊTES-VOUS ARRIVÉE SUR UN TEL PROJET ?
J’avais très envie de rencontrer Ali Abbasi pour avoir vu son précédent film, Border (2018), que j’aime beaucoup. Une amie productrice m’a appelée car elle cherchait un directeur de casting en Europe, afin de travailler sur Les Nuits de Mashhad ; puisque j’avais déjà participé à plusieurs projets entre la diaspora iranienne et l’Europe, je me suis proposée. À l’époque, Ali voulait tourner son film en Iran. J’avais hâte de lui présenter les acteurs iraniens que je connais, d’autant plus qu’ils ne trouvent pas de travail dans leur pays. Ali, lui, a grandi là-bas mais il est très vite parti en Europe ; il n’est pas familier du cinéma iranien comme je peux l’être, donc nous avons travaillé sur le casting pendant presque 4 ans. Ali est dix fois plus exigeant que moi ! (Rires.) On a peut-être rencontré 200 acteurs et actrices entre l’Iran, l’Europe et les États-Unis, mais il n’était pas souvent satisfait. Nous avons tout de même trouvé la perle rare, une jeune actrice iranienne, mais elle a lâché le projet 2 semaines avant le tournage. Je pense qu’elle a eu peur, sachant qu’elle risquait sa carrière en Iran et qu’elle n’avait peut-être pas envie de s’exiler. Nous avions perdu notre actrice, donc Ali s’est tourné vers moi et m’a proposé de passer moi-même un casting. Cela ne fonctionnait pas au début, et puis… En tant qu’actrice, je me souviens d’avoir réfléchi à ce que j’ai enduré pendant plusieurs années en Iran [elle a été victime d’une sextape volée, ce qui lui a valu d’être injuriée et forcée à l’exil, ndlr], j’ai puisé dans mon expérience et la magie du cinéma a pris le relais. L’héroïne était initialement beaucoup plus jeune que moi, or le fait de me confier le rôle m’a permis d’y ajouter un peu de mon histoire personnelle ; mon rapport au gouvernement, à l’autorité, à la société.
COMMENT ALI ABBASI VOUS A-T-IL DIRIGÉE ?
Ce que j’adore chez lui, c’est qu’il n’hésite pas à laisser un grand espace de liberté aux acteurs. C’était également le cas lors des castings : je me souviens que tout le monde, y compris les acteurs avec qui cela n’a pas marché, a apprécié sa séance. D’habitude on est très stressé, on en sort presque la larme à l’œil… mais pas avec Ali. Il est dans l’échange permanent ; il me demandait toujours de changer l’intonation ou le sentiment à chaque nouvelle prise, c’était comme un jeu entre nous. J’ai l’impression qu’au montage, il a mélangé tout cela pour accoucher d’un résultat unique. On peut dire qu’on a créé cette journaliste sur le tournage ! La moitié de ses dialogues ont d’ailleurs changé.
LES SCÈNES QUE VOUS PARTAGEZ AVEC MEHDI BAJESTANI SONT TRÈS VIOLENTES. COMMENT LES AVEZ-VOUS PRÉPARÉES ?
On a répété deux fois : d’abord tous les trois avec Ali, puis avec le chef opérateur. Mais nous étions libres de proposer des choses lors du tournage, voire d’improviser. Je me souviens que Mehdi m’a demandé : « Comment tu t’appelles ? » Ce n’était pas dans le script. J’ai instinctivement répondu : « Zahra. » En Iran, on me connaît sous ce nom et pas comme Zar. En ce qui concerne la partie la plus violente, c’était effectivement difficile : nous nous sommes abandonnés avec Mehdi. Nous n’étions même plus dans le jeu ! Je ne faisais plus attention à lui, rien n’existait autour. Il y avait une forme de danger à opérer de cette manière, mais tout s’est finalement très bien passé.
LORS DE VOTRE DISCOURS AU FESTIVAL DE CANNES [SUITE À L’OBTENTION DU PRIX D’INTERPRÉTATION FÉMININE, NDLR], VOUS AVEZ DÉCLARÉ QU’IL S’AGISSAIT D’UN FILM SUR LE CORPS DES FEMMES. D’APRÈS VOUS, C’EST CETTE QUESTION QUI VOUS A EMPÊCHÉS DE TOURNER EN IRAN ?
Je dirais que le problème est plus complexe ; il y avait non seulement la question des acteurs, mais aussi celle des lieux de tournage. Mais Ali, puisqu’il est très exigeant, avait vraiment envie de tourner son film en Iran. Il était même prêt à faire certaines concessions ! Le gouvernement a finalement refusé, donc Ali s’est reporté sur la Jordanie ; avec du recul, je pense que c’est beaucoup mieux comme ça. Nous avions davantage de libertés, ne serait-ce que pour filmer des femmes sans hijab. C’est interdit en Iran. Dans un second temps, à mon avis l’inquiétude du gouvernement est surtout liée au tueur ; c’est une histoire vraie qui a fait couler beaucoup d’encre à l’époque, puisque Mashhad est une ville sainte et très contrôlée. Or les autorités locales ont mis plus d’un an à retrouver le tueur, ce qui paraît invraisemblable dans un tel endroit ! À l’époque, on a accusé le gouvernement d’avoir fermé les yeux par complaisance.

LA FIGURE DU TUEUR EST COMPLEXE. ON A LE SENTIMENT QU’IL INSTRUMENTALISE LA RELIGION, CONSCIEMMENT OU NON, AFIN DE SOULAGER SES PROPRES PULSIONS MORBIDES…
Oui, et le film n’est pas du tout une critique de l’islam chiite. Il existe par ailleurs un documentaire consacré à ce fait divers, qui nous a beaucoup inspirés avec Ali. On y voit ce monsieur avant son exécution, son visage charmant, son calme olympien. On pourrait vraiment croire qu’il était un bon père : il adore son fils, sa femme aussi. Je le dis toujours, mais je pense sincèrement que cet homme est également une victime ; je ne sais pas quelle est la teneur de son enfance, mais c’est sûr et certain qu’il n’a pas choisi d’être un tueur. Pourquoi tuer ? Il ne faut pas céder au simplisme de l’explication religieuse ; c’est une folie. Avec Ali, on a souhaité montrer que les actes commis par le tueur relèvent de l’addiction.
LE FILM MONTRE NON SEULEMENT DES FEMMES, MAIS DES FEMMES QUI SE PROSTITUENT POUR SURVIVRE. QUE SAVEZ-VOUS DE LA SITUATION DES PROSTITUÉES EN IRAN ?
J’ai vu quelques documentaires sur la prostitution en Iran, et Ali m’a raconté pas mal d’histoires puisqu’il est allé sur place avec son producteur. Il a vu ces femmes errantes, gravitant autour d’un tombeau sacré. Elles sont clairement visibles, bien que Mashhad soit une ville sainte et un lieu de pèlerinage pour les chiites du monde entier ! Elles ont souvent des enfants, et elles vivent dans une précarité extrême qui les amène à se droguer. Il y a tout un business sur place, puisque Mashhad est une ville touristique ; je sais que les touristes religieux finissent parfois par rencontrer ces femmes et payer leur corps… Elles sont totalement déconsidérées, au point que de nombreux habitants de Mashhad ont soutenu le tueur à l’époque. Ils étaient ravis qu’un homme « nettoie » la ville pour eux. La vraie question, c’est : « Pourquoi ces femmes sont-elles là ? » Personne ne s’est vraiment interrogé sur les raisons de leur présence ; ils ont préféré les condamner parce qu’elles se prostituent. C’est typique du gouvernement iranien : pour régler les problèmes, on glisse le fond du sujet sous le tapis, on s’amuse à retourner les questions, etc. Malheureusement, cette logique a infusé tout l’Iran. C’est pour cette raison que je défends la représentation de la violence dans le film, moi qui suis d’habitude plus frileuse en la matière. Ici, elle n’est pas gratuite. On devait lever le voile sur la condition des femmes iraniennes, qui sont violées chaque jour – et je ne parle même pas des prostituées. Ali ne voulait sûrement pas en passer par la métaphore, faire un film poétique. Non : il s’agissait de montrer le réel tel qu’il est.
LE FILM A ÉTÉ VIVEMENT CRITIQUÉ PAR LE RÉGIME IRANIEN. CELA N’EST-IL PAS AUSSI CONTRE-PRODUCTIF ?
Oui, c’est évident. Ceci dit, j’attendais que tout le monde en parle mais la réaction du gouvernement était inattendue. En partie car j’avais confiance en la figure du tueur, qui ne me semble pas insultante vis-à-vis de la religion ; or l’Iran a proclamé qu’il s’agissait d’un film anti-islam, mais ce n’est absolument pas l’intention du film ! Ils ne l’ont pas vu. Ils sont allés si loin que j’attends de voir s’ils vont rétropédaler, une fois passé la sortie. De toute manière, le film ne sera pas diffusé en Iran. On se l’échangera sous le manteau. La période que je vis est assez effrayante, puisque je reçois des centaines de menaces sur les réseaux sociaux lorsque je me réveille. Pour me consoler, je me dis que ce bad buzz en Iran aura effectivement un effet contre-productif. Rendez-vous aux Oscars ? (Rires.)

Visuels de couverture & Illustration : Zar Amir Ebrahimi – Les Nuits de Mashhad | Copyright Metropolitan FilmExport

En salles le
13 juillet 2022
13 juillet 2022