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Les Folies fermières
Entretien avec Sabrina Ouazani et Jean-Pierre Améris
Tiré de l’histoire vraie de David Caumette, cet agriculteur du Tarn qui a ouvert un cabaret au cœur de sa ferme pour la sauver de la faillite, Les Folies fermières s’affirme comme une comédie chorale pleine d’intelligence et conjugue les extrêmes en une belle utopie collective. Entretien avec son actrice Sabrina Ouazani et son réalisateur Jean-Pierre Améris.
Entretien avec Sabrina Ouazani et Jean-Pierre Améris
David (Alban Ivanov), jeune paysan du Cantal, est persuadé d’avoir eu l’idée du siècle : monter un cabaret dans sa ferme en faillite. Le spectacle sera sur scène et dans l’assiette, avec les bons produits du coin. Il en est sûr, cela ne peut que marcher ! Mais ses proches, sa mère (Michèle Bernier) et surtout son grand-père (Guy Marchand) sont bien plus sceptiques. Un beau jour, David croise pourtant la route de Bonnie (Sabrina Ouazani), une danseuse qui n’a pas froid aux yeux…
JEAN-PIERRE, COMMENT AVEZ-VOUS DÉCOUVERT L’HISTOIRE DE DAVID CAUMETTE ?
Jean-Pierre Améris : En janvier 2018, je montais mon téléfilm Illettré avec Kévin Azaïs et Sabrina Ouazani lorsque je suis tombé sur un reportage à propos de David Caumette. Si on peut parler de coup de foudre pour une histoire, c’est ce qui s’est passé avec celle de ce jeune agriculteur du Tarn qui, pour échapper à la faillite de sa ferme, a eu l’idée d’y implanter un cabaret. J’ai immédiatement su que j’en ferais un film ! Deux semaines plus tard, j’étais chez David qui m’a tout raconté de son projet et des difficultés qu’il a rencontrées. Ce qui m’intéressait, c’est cette façon de répondre au désespoir social par la fantaisie et le spectacle. Je pouvais ainsi dresser un état des lieux de l’agriculture en France et rendre hommage aux artistes.
EST-CE DONC UNE ADAPTATION FIDÈLE À LA RÉALITÉ ?
Jean-Pierre Améris : David [Caumette] le dit lui-même : le film est calqué à 70% sur son parcours personnel. Mais les personnages diffèrent ; celui qu’interprète Alban [Ivanov] est beaucoup plus réservé que David. Je l’ai vraiment tiré à moi. J’aimais beaucoup ce paradoxe de faire jouer Alban, qui est un roi de la scène, un garçon maladroit et peu à l’aise en public.
SABRINA, VOUS ÊTES ARRIVÉE LA PREMIÈRE SUR LE PROJET. QU’EST-CE QUI VOUS A SÉDUIT ?
Sabrina Ouazani : En premier lieu, c’est l’idée de retrouver Jean-Pierre qui m’a séduite. J’ai été très marquée par notre collaboration sur Illettré ; j’ai adoré le rencontrer humainement parlant, mais c’est aussi un réalisateur que j’admire pour sa précision et son talent. J’avais donc d’emblée une confiance aveugle en lui. J’étais aussi très curieuse de travailler avec Alban sur un personnage aussi éloigné de ce qu’il est, mais c’est surtout le propos qui a achevé de me convaincre. Faire un film aussi lumineux sur les difficiles conditions de vie des agriculteurs, cela m’a semblé être d’utilité publique ! S’ajoutent à cela les strass et paillettes (rires).
VOUS ÊTES D’AILLEURS FAMILIÈRE AVEC LE SPECTACLE PUISQUE VOUS PRATIQUEZ LE TISSU AÉRIEN…
Sabrina Ouazani : Jean-Pierre a écrit le rôle de Bonnie spécialement pour moi, et je suis encore immensément flattée quand j’en parle aujourd’hui. J’avais certes des bases artistiques via ma pratique du tissu aérien, mais il a fallu que je me libère intimement pour camper Bonnie ; c’est une femme dotée d’une extravagance que je n’ai pas dans la vie. Elle affiche une forme de liberté, or en réalité elle manque gravement de confiance en elle ; or le regard que porte le personnage de David sur le mien est semblable à celui qu’a porté Jean-Pierre sur moi. Il avait davantage confiance en moi que je ne l’avais moi-même ! Je me souviens que l’apprentissage du pole dance a été éprouvant, car j’ai toujours eu du mal avec l’idée d’être sexy. Il a fallu que j’y crois moi-même pour que le spectateur croit au potentiel de Bonnie, et c’est beaucoup passé à travers cette danse. Il ne s’agissait pas seulement de chorégraphier quelque chose d’impressionnant mais de raconter l’évolution d’un personnage qui, progressivement, se libère des injonctions dans lesquelles elle a toujours baigné.
Jean-Pierre Améris : Ce sont des personnages seuls, des bras cassés qui vont se donner confiance les uns les autres. Bonnie aide ce paysan qui, lui, va l’aider à prendre confiance en elle. C’était un bonheur d’écrire en pensant à Sabrina, qui en plus est danseuse. C’est magnifique de filmer une actrice qui effectue les numéros musicaux sans doublure ! Elle m’inspire beaucoup.
JEAN-PIERRE, POURQUOI ALLER CHERCHER DES ACTEURS ISSUS DE LA COMÉDIE, VOIRE DU ONE-MAN-SHOW, POUR LEUR FAIRE JOUER DES RÔLES AU FOND PLUS DRAMATIQUE ?
Jean-Pierre Améris : On le sait, pour faire rire les gens il faut être empli de larmes ! C’est vrai de Bourvil jusqu’à Benoît Poelvoorde, avec qui j’ai tourné trois films. Et puis l’idée du film était précisément de provoquer l’étincelle en faisant se rencontrer des acteurs de formation différente : il y a des humoristes, l’actrice populaire Michèle Bernier, un acteur de théâtre comme Alain Rimoux, une jeune actrice sourde avec qui j’avais déjà tourné… Mais vous remarquerez qu’on ne parle pas des différences entre eux : qu’elles soient liées aux origines, au handicap, à la sexualité… il n’en est jamais question ! J’ai voulu créer ma petite utopie à moi, qui n’est d’ailleurs pas si naïve puisqu’elle est réelle chez le vrai David Caumette.
AVEC CETTE PROFUSION, DANS QUELLE AMBIANCE S’EST DEROULÉ LE TOURNAGE ?
Sabrina Ouazani : Il faut dire qu’on avait un chef d’orchestre incroyable ! J’adore être portée par le regard de Jean-Pierre ; on est réellement dans une troupe. C’est vraiment devenu un film choral avec le temps, car on s’est tous rencontrés humainement et on s’est enrichis les uns les autres.

Alban Ivanov, Sabrina Ouazani – Les Folies fermières | Copyright Caroline Bottaro
VOUS AVEZ TOURNÉ EN PLEINE FERME : QU’AVEZ-VOUS DECOUVERT SUR LE MILIEU AGRICOLE ?
Jean-Pierre Améris : Je tenais à ce que le film soit le plus authentique possible : il s’agissait donc de plonger tous ces artistes dans une vraie ferme et pas une ferme de « cinoche ». Nous étions au cœur du Cantal, à 1000 mètres d’altitude ! J’ai adapté le scénario en conséquence : Michèle Bernier ne faisait plus du yaourt mais du Cantal (rires). Alban s’est volontiers prêté à la traite des vaches, et il était très fier de représenter le monde rural. Ceci dit je ne vous cache pas qu’il a fait très froid et qu’il pleuvait constamment. La question que pose le film, c’est : « Comment faire rêver avec des paillettes mais les pieds dans la boue ? » On pourrait aussi résumer le tournage de cette façon. Ma grande récompense, c’est que David Caumette aime beaucoup le film. C’était tout l’enjeu qu’il puisse s’y reconnaître. Son image préférée, c’est quand le personnage d’Alban fait sentir à Bonnie le veau dans le ventre de sa vache. Ces deux mains sur ce ventre, pour lui, symbolisent une forme de renaissance qui est aussi son histoire.
VOUS PARLIEZ DE CES PERSONNAGES QUI RETROUVENT CONFIANCE EN EUX, MAIS LE FILM LUI-MÊME REDONNE CONFIANCE.
Jean-Pierre Améris : À titre personnel, le cinéma m’a sauvé la mise plusieurs fois à l’adolescence. Je ne compte pas le nombre de fois où j’y suis entré déprimé avant d’en sortir ragaillardi ; que ce soit devant un film de Clint Eastwood, mon idole, ou un Arnold Schwarzenegger… Le cinéma doit vous élever ! En tant que cinéaste, je n’hésite pas à aborder de graves thématiques mais je me sens aussi la responsabilité de redonner du courage.
Sabrina Ouazani : C’est vraiment un film qui fait l’éloge du collectif. C’est aussi pour cela que le cinéma enrichit.
Les Folies fermières – Sabrina Ouazani /Copyright Caroline Bottaro
VOUS VOUS ÊTES RENDUS DANS LE VRAI CABARET DES FOLIES FERMIÈRES. QUELLE IMPRESSION CELA VOUS A-T-IL FAIT ?
Jean-Pierre Améris : Oui, dès que j’ai pu. Ce n’est pas mon idée à l’origine, donc avant d’y mettre des choses personnelles j’ai dû me nourrir du réel. On ne peut pas tout inventer ! J’ai été inspiré par le discours de David Caumette sur l’opposition de sa famille au projet, qui a d’abord cru que les artistes amèneraient la drogue et la prostitution à la ferme. Il a vraiment bataillé contre ces a priori, et c’est aussi le sujet du film.
ON LE VOIT À TRAVERS LE RÔLE DE BONNIE : ON PART DU CLICHÉ POUR LE DÉMONTER PEU A PEU…
Sabrina Ouazani : On part aussi du cliché que le spectateur projette sur elle en la découvrant. On vit dans une époque où tout est binaire : soit c’est noir soit c’est blanc. Ce que j’adore avec le cinéma de Jean-Pierre, c’est qu’il travaille précisément autour d’une zone grise. L’être humain n’est jamais figé. C’est le cas de tous les personnages des Folies fermières, mais c’est vrai que Bonnie se trouve à la fin. Elle finit par se voir enfin telle qu’elle est dans un miroir.
Jean-Pierre Améris : Sachant que le personnage d’Alban lui confie une vraie responsabilité ! Il lui fait confiance. C’est la clé, jusque dans l’éducation : tout est une question de confiance accordée à l’autre.

Sabrina Ouazani, Bérengère Krief – Les Folies fermières | Copyright Caroline Bottaro
Visuel de couverture : Sabrina Ouazani – Les Folies fermières | Copyright Caroline Bottaro / Jean-Pierre Améris – Les Emotifs anonymes | Copyright StudioCanal
En salles le 11 mai 2022