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Coupez !
Rencontre avec Michel Hazanavicius
Après OSS 117, The Artist ou encore Le Redoutable, l’infatigable et éclectique Michel Hazanavicius revient avec une comédie démentielle en forme de fausse série Z. Choisi pour inaugurer ce 75e Festival de Cannes, le film promet ainsi d’euphoriser la Croisette et d’ouvrir les festivités en beauté. L’occasion rêvée pour s’entretenir avec son réalisateur, à la veille de la montée des marches.
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Après OSS 117, The Artist ou encore Le Redoutable, l’infatigable et éclectique Michel Hazanavicius revient avec une comédie démentielle en forme de fausse série Z. Choisi pour inaugurer ce 75e Festival de Cannes, le film promet ainsi d’euphoriser la Croisette et d’ouvrir les festivités en beauté. L’occasion rêvée pour s’entretenir avec son réalisateur, à la veille de la montée des marches.
Coupez ! - Rencontre avec Michel Hazanavicius
Adaptée du film japonais Ne coupez pas ! de Shin’ichirô Ueda (2017), la nouvelle comédie de Michel Hazanavicius prend place sur le plateau d’un film de zombies au budget étriqué. Techniciens et acteurs mènent la vie dure au réalisateur Higurashi (Romain Duris), dont la motivation pour le projet ne désemplit pas. Mais c’était sans compter l’irruption de véritables morts-vivants sur le plateau, bien décidés à perturber le tournage…
COUPEZ ! N’EST PAS VOTRE PREMIER REMAKE, PUISQUE VOUS AVIEZ RÉALISÉ THE SEARCH (2014) D’APRÈS UN FILM DE FRED ZINNEMANN. QU’EST-CE QUI VOUS PLAÎT DANS CET EXERCICE ?
Michel Hazanavicius : Le remake ne m’intéresse pas en tant que tel ; pour The Search, le film d’origine m’avait plu en ce qu’il mêlait habilement une forme mélodramatique à l’imagerie quasi documentaire de l’immédiat après-guerre. C’est surtout cela que j’ai gardé. Pour Coupez !, tout est parti de mon désir de réaliser une comédie de tournage. En discutant avec Vincent Maraval [fondateur de Wild Bunch, ndlr], il m’a raconté qu’il achetait les droits de remake d’un film réalisé par des étudiants japonais intitulé Ne coupez pas ! (2017). J’ai immédiatement adoré sa structure très ludique, et j’ai pensé que ce serait un beau terrain de jeu. Pour moi, cela ne change rien de partir d’un film ou d’un livre existant. Beaucoup de grands réalisateurs n’ont jamais écrit une ligne et ont une filmographie personnelle ; à partir du moment où je m’approprie le matériau, il devient personnel.
VOTRE FILM FERA L’OUVERTURE DU FESTIVAL DE CANNES. C’EST SA PLACE IDÉALE ?
J’espérais un hors compétition, mais là c’est incroyable. Je suis ravi que mon film inaugure le festival, et je trouve effectivement que c’est sa bonne place puisqu’il valorise les gens du cinéma. Il leur dit que ce qu’ils font, tout dérisoire que ce soit, c’est forcément sublime ! C’est beau de se déchirer en quatre pour raconter une histoire ; même une histoire ratée. C’est tout le propos de Coupez !.
VOTRE FILMOGRAPHIE TÉMOIGNE D’UN GOÛT POUR LE DÉTOURNEMENT ET LE PASTICHE. D’OÙ VIENT CE PLAISIR-LÀ ?
J’ai fait une école d’art et, à l’époque, je détournais déjà des objets ou des affiches électorales. C’était aussi dans l’air du temps à la fin des années 1980 ; de la même manière, j’ai commencé à travailler en écrivant pour Les Nuls. Ce sont aussi des champions de la parodie ! J’ai tout appris à leurs côtés, puis j’ai réalisé des « films de détournement » avec mon collègue Dominique Mézerette – le plus connu est La Classe américaine (1993). C’était lié à mon goût personnel comme à un contexte temporel, mais je n’ai pas arrêté depuis. On retrouve cet élément dans tous mes films, à part peut-être dans The Search.
C’EST AUSSI UNE FAÇON DE NE JAMAIS SE PRENDRE TROP AU SÉRIEUX ?
Peut-être bien ! C’est un jeu avec le spectateur. Pour Le Redoutable (2017), je me suis posé la question : « Qu’est-ce que les gens connaissent de Jean-Luc Godard ? » Réponse : des formes. Et si le film n’est absolument pas godardien puisqu’il s’agit d’un biopic, je me réapproprie les motifs qu’il a inventés en son temps. J’avais envie de lui rendre hommage dans la forme et de le mettre dans l’embarras sur le fond, puisqu’il n’est pas vraiment à son avantage dans le film. Pour The Artist (2011), c’est parti de l’esthétique des films muets ; j’aurais ensuite pu raconter n’importe quelle histoire derrière, mais on m’aurait pris pour un poseur si je l’avais située à notre époque. Raconter la trajectoire d’un acteur de films muets m’a permis de raccorder le fond à la forme. Pareil pour The Search : j’avais envie de travailler autour des images de guerre qu’on peut voir à la télévision. Mon vrai point de départ, c’est donc toujours la forme.
S’ATTAQUER À LA FIGURE DE GODARD, C’EST UNE MANIÈRE DE LE DÉMYSTIFIER. COUPEZ ! FAIT DE MÊME AVEC LES TOURNAGES : ILS SONT PARFOIS CHAOTIQUES !
Créer un film, c’est du bricolage : on démonte une histoire en plein de morceaux indépendants et, petit à petit, on les recolle. Pour moi, Coupez ! parle surtout de ce que cela demande d’engagement. Bien que les personnages réalisent un navet absolu, ils sont magnifiques. Si le spectateur est dans le jugement au début, il se ravise et il pardonne à la fin puisque le projet a été tenu jusqu’au bout. J’aimais beaucoup cette idée.

VOUS AVEZ AUSSI VÉCU DES TOURNAGES DIFFICILES ?
Pas comme ici, mais il faut bien savoir qu’un film est totalement fantasmé tant qu’on ne tourne pas. Il prend sa réalité dès lors qu’on vous demande de valider un décor, un costume, un acteur, etc. Imaginez : vous avez décrit un personnage de telle manière sur le papier et, un jour, on vous présente un acteur avec une vraie gueule et une vraie voix. Cela change beaucoup de choses. On bascule brutalement dans le concret. Il y a une espèce de rétrécissement et, paradoxalement, c’est aussi très beau de voir un acteur incarner un texte. Mais il y a toujours du compromis entre le rêve et sa matérialisation.
COMMENT S’EST DEROULÉ LE « VRAI » TOURNAGE DU FAMEUX PLAN SÉQUENCE D’UNE DEMI-HEURE QUI OUVRE LE FILM ?
Ce plan séquence était très précisément écrit… pour avoir l’air raté ! Je ne l’ai pas fait par-dessus la jambe, il y a eu 5 semaines de répétitions avec acteurs et techniciens. Il y avait plein de métiers différents sur le plateau, ne serait-ce que pour le sang et les effets spéciaux artisanaux. Mais le plus intéressant, c’est qu’on s’est retrouvés à filmer des scènes que nous avions nous-mêmes vécues pour la seconde partie ! J’ai tourné un film qui raconte l’histoire d’un type qui tourne un film de l’histoire d’un type qui tourne un film ; il y a de quoi avoir le vertige (rires). Pour la toute première scène du film, Grégory [Gadebois] tenait une caméra, il y avait la caméra du cadreur qui joue dans le film, notre caméra à nous et la caméra du making-of. Autant vous dire que les acteurs ne savaient plus dans quel espace de fiction ils étaient ! Le film joue justement sur ces deux espaces différents, entre lesquels tout le monde dansait en permanence ; à savoir celui du film de Romain [Duris] et celui du mien.
DANS LA PREMIÈRE DEMI-HEURE DU FILM, VOUS ATTISEZ D’AILLEURS UNE RÉACTION NÉGATIVE CHEZ LE SPECTATEUR. COMMENT AVEZ-VOUS ABORDÉ CET ASPECT DÉLICAT ?
C’est un what the fuck, comme disent les jeunes (rires). Je cherche malgré tout à susciter un intérêt dramatique, mais sans être séduisant comme on peut l’être d’habitude. Je devais laisser le film dans un état brut, le tout dans l’objectif de créer du malaise. Ça ne m’étonnerait d’ailleurs pas que le film écope de quelques sifflets à Cannes ! (Rires.) Au bout des premières vingt minutes, certains spectateurs seront extrêmement gênés ; pour moi, pour Cannes, pour l’état du cinéma en général… De graves questions vont se poser (rires). Or tout ce malaise me charge pour la comédie à venir ! Ce qui est vrai, c’est que cela demande de faire confiance au spectateur. D’autant plus à une époque où il zappe très vite.

VOUS ÉGRATIGNEZ AVEC PLAISIR LA FIGURE DU « RÉALISATEUR TOUT-PUISSANT » VIA LE RÔLE DE ROMAIN DURIS. DE VOTRE POINT DE VUE, IL ÉTAIT IMPORTANT DE REVALORISER LA DIMENSION COLLECTIVE DU CINÉMA ?
Dans ce film-là oui, mais dans la réalité je dirais que c’est plus complexe. Lorsqu’on est réalisateur, on est à la fois très entouré et très solitaire ; on ne peut rien faire tout seul, mais à l’inverse ce n’est pas une démocratie. On compte sur vous et vous seul pour prendre beaucoup de décisions, et vous êtes malgré tout un garant. Frank Capra a dit un jour : « Un film, un homme. » C’est un peu excessif mais il n’a pas totalement tort, bien que le cinéma soit également un sport collectif. C’est surtout un domaine paradoxal, où les contraires cohabitent souvent. La preuve : c’est à la fois une industrie et un art !
VOUS PARLEZ DE MICROSOCIÉTÉ POUR QUALIFIER UN PLATEAU DE TOURNAGE ; SI CE N’EST PAS UNE DÉMOCRATIE, C’EST QUOI ?
Ce serait impossible ! Vous me direz, Godard a tenté la démocratie ; à mon avis ça n’a pas marché et ça ne peut pas marcher. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà rendu sur un plateau, mais si vous ne faites pas partie de l’équipe votre vous embarrasse rapidement (rires). Vous ne savez pas trop où vous mettre car c’est très organique ; tout le monde sait ce qu’il a à faire. C’est hiérarchisé. Je dirais que c’est beaucoup plus proche d’une organisation paramilitaire que d’une confédération d’ouvriers ! (Rires.)

PARLONS HUMOUR : VOUS N’HÉSITEZ PAS À VERSER DANS UN COMIQUE GROSSIER ET IMAGÉ. CELA NE VOUS FAIT PAS PEUR ?
Comme le film est assez malin et sophistiqué dans sa structure, j’avais envie de contrebalancer les choses. Je parle pour moi, mais j’ai l’impression de pouvoir me lâcher sur l’humour régressif lorsque le reste est bien tenu. Tout est une question d’équilibre, et puis le film réunit plusieurs formes comiques ; cela va du pastiche aux jeux de mots les plus abrutis, de la comédie de situation au vaudeville burlesque. Cela part dans tous les sens ; c’est plus surprenant ainsi ! Il faut dire qu’on sortait de la pandémie lorsqu’on a tourné ; l’équipe avait ce côté bande de gamins et j’ai vraiment lâché les chevaux (rires).
VOTRE CASTING RASSEMBLE DES NOUVELLES TÊTES PROMETTEUSES ; ON PENSE À VOTRE PROPRE FILLE MAIS AUSSI À LUANA BAJRAMI, AGNÈS HURSTEL, JEAN-PASCAL ZADI, RAPHAËL QUENARD… VOUS ÊTES ATTENTIF À LA NOUVELLE GÉNÉRATION ?
Complètement. C’était touchant parce qu’ils se faufilaient sur le plateau pour regarder comment je bossais, comment Romain et Bérénice [Bejo] bossaient… Je vais vous dire, un moment du tournage m’a particulièrement touché lors d’une scène entre Romain et Grégory, où ce dernier se livre sur ses problèmes personnels dans un escalier. La scène est vraiment touchante, et je voyais le jeune Raphaël [Quenard] qui regardait au loin. Je l’ai invité à s’approcher et à écouter les acteurs pendant la prise. Lorsque je me suis retourné, il était en larmes… C’était magnifique de voir ce jeune acteur bouleversé par ses collègues plus expérimentés.

Visuels de couverture & illustration : Michel Hazanavicius Copyright (c) 2017 taniavolobueva/Shutterstock. / Finnegan Oldfield, Bérénice Bejo, Matilda Lutz, Romain Duris – Coupez ! | Copyright Lisa Ritaine / Maxim Emelianov.

En salles le
18 mai 2022
18 mai 2022