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Cœurs vaillants
Entretien avec Camille Cottin
De tous les fronts, Camille Cottin a explosé avec la série Dix pour cent avant de devenir l’actrice tout-terrain qu’on connaît aujourd’hui, autant à l’aise sur les plateaux hollywoodiens de Ridley Scott que dans la forêt de Chambord aux côtés de la sensible Mona Achache, qui la dirige dans un conte sur les enfants cachés de la Seconde Guerre mondiale. Rencontre.
Entretien avec Camille Cottin
En pleine Seconde Guerre mondiale, six enfants juifs trouvent refuge dans des lieux exceptionnels, là où personne ne pense à aller les chercher : au château de Chambord, parmi les œuvres d’art cachées du Louvre. Placés sous l’aile protectrice d’une conservatrice à l’allure sévère, Rose, les enfants vont ainsi créer leur propre communauté souterraine… Avec Camille Cottin et Swann Arlaud.
COMMENT MONA ACHACHE, LA RÉALISATRICE, VOUS A-T-ELLE SÉDUITE ?
Camille Cottin : J’avais déjà travaillé avec Mona sur Les Gazelles (2014) et je savais qu’elle était très précise dans sa direction. Mais c’est aussi le rôle qui m’a cueillie puisqu’il est inspiré d’un personnage réel : Rose Valland, une conservatrice de musée devenue résistante et dont je ne connaissais pas l’existence. J’ai adoré lire son histoire et m’inspirer de sa personnalité, bien que le film ne soit pas calqué sur le réel puisqu’elle n’a jamais été au château de Chambord. J’aimais beaucoup cette idée d’un personnage pas particulièrement héroïque a priori, peu empathique avec les enfants. Elle a pourtant choisi de les protéger au péril de sa vie, bien que ce ne soit absolument pas prémédité !
ON SAIT QUE MONA ACHACHE S’EST INSPIRÉE DE SA GRAND-MÈRE POUR CE FILM, MAIS JE CROIS QUE VOTRE PROPRE FAMILLE N’EST PAS ETRANGÈRE À CETTE THÉMATIQUE…
Mona raconte qu’elle a été très marquée par les récits de sa grand-mère, enfant cachée pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a surtout été frappée par le mélange entre la gravité des faits et l’insouciance avec laquelle sa grand-mère racontait son histoire. Cela devenait une aventure romanesque, comme si l’enfance persistait malgré l’horreur. De mon côté j’ai eu deux grands-pères qui ont connu la guerre ; l’un m’a raconté comment il a traversé une rivière sous les balles des Allemands, l’autre comment il a creusé un tunnel pour s’évader d’un camp de prisonniers ! Comme beaucoup de gens de notre génération, j’ai été bercée par ces récits qui sont constamment remis à l’écran et explorés de manière différente. Peut-être car on sait que l’histoire est vouée à se répéter…
JUSTEMENT, L’ORIGINALITÉ DE CE FILM EST SON ALLURE DE CONTE POUR ENFANTS.
Il y a beaucoup du langage, des codes du conte ; la forêt, l’ogresse, le château… C’est aussi le cas de mon personnage : au début elle a ce côté marâtre, puis elle devient bonne fée. Rose me fait penser à ces figures mystérieuses de contes de fées, dont les intentions sont difficiles à cerner au début. Mais on apprend peu à peu à les connaître et à les apprécier…
N’EST-CE PAS DIFFICILE D’INCARNER « L’ADULTE » DANS UN FILM RACONTÉ DU POINT DE VUE DES ENFANTS ?
Si, bien sûr. C’est par elle et par le personnage qu’interprète Swann Arlaud qu’on perçoit la gravité de ce qui se passe hors les murs. On ne voit rien sinon, puisque les enfants sont précisément cachés. Il y a une violence latente, certes, mais elle n’est pas directement perçue… C’est à travers les réactions des adultes qu’ils comprennent le danger.
ON VOUS CONNAÎT DANS DES RÔLES PLUS EXPANSIFS, OR VOUS EXCELLEZ AUSSI LORSQUE VOUS INCARNEZ DES PERSONNAGES TRÈS RIGIDES. VOUS AIMEZ VARIER LES REGISTRES ?
Absolument. En réalité, c’est le langage du corps qui m’intéresse ; comment le corps exprime une façon d’être au monde. Cela passe donc par la tessiture de la voix, la diction, la tête, la nuque, les épaules… Ensuite, l’idée c’est comment on oublie et on laisse le corps parler tout seul une fois qu’il a intégré ces informations. J’aime cette approche du travail d’acteur. Pour la diversité des rôles, c’est aussi lié à des rencontres : avant Les Éblouis (2019), j’avais fait beaucoup de théâtre avec sa réalisatrice Sarah Suco. C’est vrai qu’on a tendance à nous enfermer dans des rôles qui ressemblent aux précédents. Les choses se débloquent une fois qu’on a rencontré les gens dans le travail : Mona m’a également vue jouer au théâtre, elle savait ce dont j’étais capable.

Camille Cottin – Cœurs vaillants | Copyright Bac Films
DANS CŒURS VAILLANTS, VOUS DONNEZ PRESQUE EXCLUSIVEMENT LA RÉPLIQUE À DES ENFANTS. QUELLE A ÉTÉ VOTRE RELATION À CES JEUNES COMÉDIENS ?
C’est eux qui ont d’abord créé un groupe très fort et qui m’y ont inclue. Ils étaient très en confiance avec Mona ; tous les soirs, elle passait une heure en tête à tête avec eux pour discuter de ce qu’ils avaient ressenti. Elle retravaillait le scénario en fonction. Son but était de les rendre contemporains, c’est-à-dire qu’on puisse s’identifier à eux. Tout était rodé : je me suis laissée guider, c’était fluide et surtout très beau de les voir travailler. Par exemple dans la dernière scène, le jeune Luka [Haggège] était tellement dans la situation que sa réaction a nourri la scène. Cela m’a aidé.
LES ENFANTS ONT UN RAPPORT DIFFÉRENT AU JEU ?
Ils ne sont pas dans la projection du regard de l’autre, il n’y a pas d’inhibition chez eux. Cela ne veut pas dire que c’est toujours simple et qu’ils comprennent tout, mais disons que leur jeu est très pur. J’en suis toujours frappée ! J’ai beaucoup tourné avec des enfants : dans Les Éblouis, Stillwater (2021) ou encore Cigarettes et chocolat chaud (2016). Certes ils sont castés pour leur sensibilité particulière, mais je suis impressionnée à chaque fois. Je suis à l’aise avec les enfants car je suis moi-même l’aînée d’une fratrie de cinq frères et sœurs au grand écart d’âge : la dernière a 19 ans.
EN TANT QU’ACTEUR, ON GARDE AUSSI QUELQUE CHOSE DE L’ENFANCE ?
Oui, c’est ce qu’on cherche ! Cette pureté dans le jeu, cet absolu de croire à l’histoire qu’on est en train de raconter sans aucune inhibition ou calcul. On se laisse donc entraîner par ce que les enfants nous offrent ; c’est précieux !

Cœurs vaillants | Copyright Bac Films
VOUS VENEZ DE VOUS ILLUSTRER AU MET GALA. LE CINÉMA AMÉRICAIN VOUS TEND LES BRAS : C’EST UNE EXPÉRIENCE RADICALEMENT DIFFÉRENTE DES TOURNAGES FRANÇAIS ?
Si je compare Stillwater de Tom McCarthy et House of Gucci de Ridley Scott (2021), ce sont deux films américains mais ils n’avaient rien à voir en termes de fabrication ! Stillwater, c’est vraiment du cinéma indépendant et Tom [McCarthy] tenait à embaucher beaucoup de Français dans l’équipe. Je n’ai pas senti une grande différence dans le mode de production. House of Gucci, c’est autre chose : on était vraiment sur une configuration hollywoodienne en studio. Ridley [Scott] a une manière extrêmement singulière de tourner, et même les grands acteurs américains avec qui j’ai bossé [Adam Driver, Al Pacino, Jared Leto, ndlr] étaient frappés par sa méthode ! C’est dire à quel point c’est particulier : il tourne constamment à 4 caméras, souvent planquées donc on ne les voit même pas. Lorsqu’on arrive sur le plateau, tout est déjà installé ; on ne voit jamais l’équipe travailler sur le décor. Ensuite, tout va très vite puisqu’il fait peu de prises et il enchaîne !
FINALEMENT, OÙ VOUS SENTEZ-VOUS PLUS À L’AISE ?
J’aime toujours me préparer en amont afin de m’adapter à la méthode de travail sans être prise au dépourvu. Je me prépare avec quelqu’un qui m’aide à travailler, à réfléchir à mon rôle, etc. Je sais ensuite que j’ai mon petit bagage avant de monter à bord et dire : « Ok, qu’est-ce qu’on fait capitaine ? » Pour obtenir un certain lâcher prise sur le plateau, j’ai besoin d’avoir travaillé et d’être suffisamment en confiance pour improviser. Après, chaque cinéaste est différent : Mona [Achache] est par exemple très précise sur la direction, le corps, la respiration, l’intonation, l’intention, etc. Certains pas du tout ! Je me souviens que Christophe Honoré [avec qui elle a tourné Chambre 212, ndlr] propose plutôt un trajet physique qu’on interprète ensuite comme on le souhaite. Tom McCarthy, lui, est également acteur donc il est dans l’énergie de la scène. C’est tout le contraire de Ridley Scott, qui nous laisse nous emparer des lieux et du personnage sans trop interférer.
POUR FINIR, QUELS SONT VOS PROJETS ?
Là, je m’apprête à tourner avec Nathan Ambrosioni [un très jeune réalisateur de 22 ans, ndlr] un long métrage dans le sud de la France. Il s’intitule Toni, en famille, donc je vous laisse deviner qu’il y aura aussi beaucoup d’enfants (rires). De plus grands enfants, mais qui sont tous très doués ! J’enchaînerai ensuite sur L’Empire, le prochain film de Bruno Dumont. Pour finir, j’ai également tourné Golda, avec Helen Mirren.

Swann Arlaud, Camille Cottin – Cœurs vaillants | Copyright Bac Films
Visuel de couverture : Camille Cottin – Chambre 212 | Copyright Jean Louis Fernandez
En salles le 11 mai 2022